Bac : le nombre de candidats handicapés a augmenté de 50% en trois ans

Malgré une amélioration des conditions d'examens depuis dix ans, associations et familles de lycéens handicapés appellent à assouplir davantage les épreuves. 

 

«Votre fils ne saura jamais lire ou écrire.» Ces mots, lâchés par une directrice d’établissement primaire en 2003, Michel Tissier s’en souvient encore. David, son petit garçon alors âgé de 8 ans, souffre de dyspraxie provoquant troubles visuels et troubles de la parole. Aujourd’hui, il passe le bac ES avec un aménagement d’épreuves. Comme lui, près de 30 000 candidats bénéficient de ces mesures, un chiffre en constante augmentation depuis près de dix ans. Un signal positif, même si des ratés persistent. Mercredi dernier, une lycéenne non-voyante dans le Var n’a pas pu plancher sur son examen de français faute de version disponible en braille. Un imbroglio reflet des difficultés quotidiennes vécues par ces enfants.

UNE AMÉLIORATION NOTABLE

«On ne peut pas le nier, des efforts sont faits», tient à souligner Vincent Michel, président de la Fédération des aveugles et handicapés visuels. En 2010, quelque 20 000 lycéens avaient accès aux aménagements d’épreuves, soit une augmentation de près de 10 000 étudiants en trois ans. Selon Philippe Van den Herreweghe, délégué ministériel aux personnes handicapées au sein du ministère de l’Éducation nationale, ces chiffres s’expliquent notamment par la hausse importante de la scolarisation des enfants handicapés: «Entre 2009 et 2014, on note 80% de lycéens handicapés en plus !» Une croissance des effectifs qui nécessite quelques adaptations. Pour répondre aux besoins d’accompagnement, la loi prévoit cinq types d’aménagements : le tiers-temps (les étudiants disposent d’un tiers du temps de l’épreuve en plus), l’aide technique ou humaine (ordinateur, secrétaire), la conservation des notes pendant cinq ans, l’étalement du passage des épreuves sur plusieurs sessions ou la dispense de certaines épreuves comme le sport ou les langues vivantes.

LE SACRO-SAINT TIERS TEMPS

Les associations de «dys» (dysorthographie, dyslexie, dyspraxie, dysgraphie…) assurent que le tiers-temps est presque systématiquement accordé par les rectorats en charge de l’attribution des aménagements et pointent une solution de facilité : «Un enfant dysgraphique, qui peine à former ses lettres et ses mots, ne parviendra pas à écrire correctement même si vous lui accordez quarante minutes supplémentaires». Au sein du ministère, on tente de tempérer : «On ne connaît pas la répartition exacte des aménagements accordés, ces données n’ont jamais été collectées».

«Il y a eu un véritable aménagement des horaires. Il y a deux ans, certains lycéens handicapés subissaient des journées de 9 heures», souligne Vincent Michel. Ce marathon, Françoise Verdon l’a vécu en 2011 lors des épreuves du bac de son fils, polyhandicapé. A l’époque, plusieurs épreuves se succèdent chaque jour. Un souvenir douloureux pour sa mère qui évoque une «lourdeur absolue et un état de fatigue immense». «Quand on y pense, c’est quand même absurde», ironise Patrice Fondin, directeur de l’association Handisup qui accompagne les jeunes en situation de handicap depuis 1989, «le tiers-temps génère des journées plus longues donc plus de fatigue. Ça fragilise des élèves déjà fragilisés».

Malgré l’étalement des épreuves, le tiers-temps entraîne encore certaines difficultés logistiques. Il y a deux ans, des lycéens handicapés inscrits en terminale ES avaient eu la mauvaise surprise de constater que deux de leurs épreuves se chevauchaient, leurs tiers-temps n’ayant pas été pris en compte par le ministère de l’Education. Un oubli qui alimente la frustration des familles des élèves handicapés. David Tessier, le lycéen de terminale ES, affrontait lundi son épreuve de sciences économiques et sociales: «Avec le temps majoré, mon fils a dû enchaîner plus de cinq heures d’examen. S’il voulait prendre une pause pour déjeuner, ce n’était même pas décompté de la durée totale, c’est terrible quand même !»,s’agace son père.

LOURDEURS ADMINISTRATIVES

Autre incohérence, soulevée par les parents: la désignation par le rectorat de l’auxiliaire de vie scolaire chargée d’accompagner le jeune sur toute la durée des épreuves. Dans une circulaire datée de 2011, il est précisé que «la position professionnelle de l’assistant par rapport au candidat ne doit pas être de nature à compromettre leur neutralité». Une aberration pour nombre de parents. David, le fils de Michel Tessier, bénéficie d’une auxiliaire tout au long de l’année : «Or si on suit le texte à la ligne, elle ne devrait pas être présente pendant le bac sous prétexte que sa relation avec mon fils pourrait la pousser à lui souffler les réponses ?» Les secrétaires désignés par les inspecteurs d’académie ne connaissent pas systématiquement les troubles spécifiques de chaque élève. Dans l’impossibilité de connaître à l’avance la personne qui accompagnera son fils, Françoise Verdon confie avoir vécu «dans l’angoisse jusqu’au jour J». Philippe Van den Herreweghe le reconnaît, certaines démarches alourdissent considérablement le passage du bac : «Quand un lycéen possède un aménagement spécifique tout au long du lycée, pourquoi est-ce nécessaire de renouveler à chaque examen sa demande d’aménagement ?»

UN «BAC HANDICAPÉ»?

Aux obstacles logistiques s’ajoutent les préjugés des autres étudiants et des parents d’élèves. Paul et Clémentine sont tous deux dyslexiques et scolarisés en classes de terminale et de première. Pour faire face aux critiques, ils privilégient le dialogue: «Certains élèves s’interrogent ou pensent que c’est plus facile pour nous… Il suffit d’expliquer pourquoi on ne passe pas le bac dans les mêmes conditions qu’eux et ils finissent par comprendre». Le père de David, Michel Tessier, se souvient d’une remarque lancée par un parent lors d’un conseil de classe:«De toute façon, avec son auxiliaire de vie, c’est plus simple pour lui !» Or le délégué ministériel aux personnes handicapées au sein du ministère de l’Éducation nationale insiste : «On ne le dit pas suffisamment mais la scolarisation des élèves handicapés est beaucoup plus difficile à vivre. Quand ils rentrent chez eux après une journée d’école, ils ne regardent pas la télévision, ils bossent, seuls ou avec l’aide de leurs parents mais ils bossent». Pour beaucoup d’associations, les autorités font preuve de trop de rigidité. Les aménagements techniques, humains, logistiques, bien que nécessaires, doivent s’accompagner d’un travail de réflexion sur le fond même des épreuves : «Il faut ouvrir le débat, s’asseoir autour d’une table et envisager une adaptation des exercices. La généralisation du contrôle continu irait en ce sens», analyse Sophie Cluzel présidente de la Fnaseph (Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap). Du côté du ministère, moduler le contenu des épreuves est inenvisageable, insiste Philippe Van den Herreweghe: «Si on commence à supprimer certains exercices pour les lycéens handicapés, ça n’est plus le baccalauréat mais ça devient le "bac handicapé"! Ça n’est pas souhaitable.»

Hélène SERGENT
http://www.liberation.fr/societe/2015/06/22/bac-le-nombre-de-candidat-handicapes-a-augmente-de-50-en-trois-ans_1331574

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